Europe

Se défaire du gaz russe : un parcours semé d'obstacles

Il y a quelques jours, le président russe Vladimir Poutine a menacé de cesser l’approvisionnement en gaz de son pays vers l’Europe, à partir du 1er avril. Il exigeait que ses clients paient en roubles plutôt qu’en euros, sans qu’une telle clause soit prévue dans les contrats.

On n’ose envisager les conséquences catastrophiques d’une telle coupure subite d’approvisionnement : ce seraient les industries en Europe qui en feraient principalement les frais. Elles devraient réduire leur consommation de façon draconienne, au profit des clients intérieurs et des services essentiels.

Une telle coupure, entière ou partielle, dit l’industrie allemande, entraînerait immédiatement des mises à pied massives, et des secousses dans les chaînes d’approvisionnement, donc des pénuries de certains produits, avec à la clé une hausse des prix.

Nul doute : l’Europe, montrée du doigt depuis des décennies pour sa dépendance au gaz russe, a compris la leçon.

Elle qui avait déjà des plans ambitieux en matière de transition énergétique compte accélérer ses efforts. Un plan à cette fin, intitulé « Action européenne conjointe en faveur d’une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable », a été dévoilé le 8 mars 2022.

Une approche ambitieuse

L’Europe entend ainsi se défaire des deux tiers de ses approvisionnements en gaz russe d’ici la fin de 2022. C’est une tâche herculéenne. Ses importations de gaz de la Russie ont été de 155 milliards de mètres cubes en 2021. Elles devraient donc être retranchées de quelque 100 milliards de mètres cubes, en seulement quelques mois.

À court terme, la priorité est simple : finir l’année sans pénurie et passer le prochain hiver avec des réserves au maximum des capacités de stockage.

L’année 2022 s’est ouverte en effet en Europe avec des réserves au plus bas. Celles-ci atteignaient à peine 25 % des capacités. L’objectif est de 90 % pour le prochain hiver. Ce qui explique la poursuite des importations de gaz durant les prochains mois, même si l’hiver est terminé sur le continent : on est en train de renflouer les stocks.

Toujours à court terme, cette volonté de se défaire au plus vite des importations de la Russie devrait amener le recours temporaire au charbon, voire le retour en vogue du nucléaire dans plusieurs pays. Cela ne manquera pas d’attiser la colère des écologistes, mais, pour un certain temps, il faut prévoir que la sécurité d’approvisionnement aura préséance sur l’urgence climatique en Europe.

Cette transition rapide ne sera pas chose facile. Et elle coûtera cher. La majorité du gaz russe provient de gazoducs. Ce moyen de transport est, bien sûr, moins dispendieux que l’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) provenant d’autres pays. Or, les importations de GNL pourraient compter pour la moitié de cet objectif de remplacement du gaz russe, soit 50 milliards de mètres cubes⁠1. Mais il faudra plus de terminaux d’importation dans différents pays, dont en Allemagne, pour mieux répartir géographiquement ces acquisitions supplémentaires, un processus long et coûteux.

L’Europe devra aussi concurrencer les pays asiatiques fortement dépendants d’importations de GNL, comme le Japon, ce qui mettra une pression à la hausse sur les prix.

Il y a également les importations d’autres fournisseurs reliés à l’Europe par gazoducs, dont la Norvège, les Pays-Bas, l’Afrique du Nord, l’Azerbaïdjan. Mais cela ne devrait compter que pour 10 % de la réduction envisagée de gaz russe.

Quant aux énergies renouvelables (éolien, solaire), elles devraient remplacer dès cette année 20 % de la production d’électricité à partir de gaz. Là aussi, il faut du temps pour mettre en place de nouvelles infrastructures. La partie n’est pas gagnée. En France, par exemple, l’éolien subit de fortes contestations.

Enfin, du côté de la demande, l’Europe vise une diminution de presque 40 milliards de mètres cubes, soit environ 10 % de sa consommation de 2021. Or, la pandémie avait amené une réduction de… 11 milliards de mètres cubes en 2020. C’est dire l’ambition du plan actuel.

On compte y arriver avec des mesures incitant à la baisse des consignes des thermostats, à l’installation de pompes à chaleur et de panneaux solaires partout où c’est possible.

Pour réduire de façon si draconienne sa dépendance au gaz russe dans un aussi court laps de temps, il faudra donc pour l’Europe que tout tombe en place sans trop de heurts, y compris une température clémente l’hiver prochain. Dans la pratique, sur le terrain, beaucoup d’imprévus, voire un certain chaos, sont à prévoir.

1. Lisez l'étude de l'Oxford Institute for Energy Studies, The EU plan to reduce Russian gas imports by two-thirds by the end of 2022 : Practical realities and implications, March 2022 (en anglais)

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